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La laïcité, enjeu dans la Tunisie de l'après-révolution

CINÉMA

 

Le documentaire sur la société tunisienne après la révolution, Laïcité, inch'Allah !, vient de sortir dans les salles en France. La réalisatrice Nadia El-Fani, qui défend la séparation entre l'Etat et la religion, répond aux questions du quotidien algérois El-Watan.

27.09.2011 | Propos recueillis par Nadjia Bouzeghrane | El-Watan


Image d'une manifestation à Tunis, extraite du documentaire Laïcité inch'Allah !, actuellement en salles.

Image d'une manifestation à Tunis, extraite du documentaireLaïcité inch'Allah !, actuellement en salles.

Laïcité, inch'Allah !, c'est un projet de société ? 
C'est ce que je développe dans le film. Quel projet nous avons pour la Tunisie et comment continuer à vouloir que la Tunisie reste dans la modernité et refuser la régression. Parce que, pour moi, si les islamistes gagnent du terrain, ce sera le début de la régression. 

Est-ce que la société tunisienne, et pas seulement les cercles citadins, est réceptive à ce projet et est-elle prête à se battre pour le réaliser ?
Ce qui est un peu différent pour la société tunisienne par rapport aux deux autres grands pays maghrébins, le Maroc et l'Algérie, c'est l'existence d'une importante classe moyenne qui est habituée aux pratiques laïques dans son quotidien et dans l'histoire de la Tunisie, puisque Bourguiba [président de 1957 à 1987] avait instauré des pratiques laïques. Je le rappelle un peu dans le film, Bourguiba avait empêché que pendant le ramadan soient aménagés des horaires spéciaux, il avait même exhorté le peuple – dans un discours de 1961  – à ne pas faire le ramadan en disant que le plus grand des djihads, c'était le djihad du développement, et qu'économiquement le ramadan coûtait cher au pays à cause de la baisse de productivité qu'il entraîne. 

Mais qu'aujourd'hui, comme on le voit dans votre film, les "dé-jeûneurs" soient dans l'obligation de se cacher, est-ce que ce n'est pas un recul par rapport à cette position de Bourguiba ?
Bien sûr. Ben Ali est à l'origine de ce recul. Dès qu'il est arrivé au pouvoir [en 1987], la première décision qu'il a prise a été la diffusion de l'appel à la prière à la télévision. C'était le début des concessions aux islamistes. Non seulement il a voulu autoriser Ennahda [parti politique islamiste tunisien], avant de l'interdire par la suite et de réprimer très durement ses membres, mais il a aussi tenté de s'allier aux islamistes. Il faut rappeler aux Tunisiens que Ben Ali a instrumentalisé la religion pour mieux donner des gages aux islamistes. 

 La laïcité est devenue une priorité...
Je pense que c'est un véritable enjeu de société, parce que, si ça ne l'était pas, je ne vois pas comment expliquer la virulence et la violence des attaques islamistes à l'égard de mon film. Pour les islamistes, c'est une menace, et, pour nous, ce serait entrer définitivement dans la modernité et de plain-pied dans le troisième millénaire. Nous sommes entrés dans la modernité en faisant la première révolution du monde arabe du troisième millénaire, maintenant il faut qu'on continue sur cette voie. Si on veut achever le travail qui a été accompli le 14 janvier, il faut voter pour une Assemblée constituante en faveur de la laïcité, soit de la séparation de la religion et de l'Etat. 

N'y a-t-il pas là aussi un travail d'explication et de clarification à faire autour du concept de laïcité ?  
On a été pris de vitesse par les islamistes, qui ont réussi, aidés par leurs chaînes satellitaires, à faire croire au peuple tunisien comme aux autres peuples arabes que la laïcité imposerait l'athéisme. Aujourd'hui, les progressistes ont du mal à contrer cette idée reçue. 

Que disent les Tunisiens attachés à la laïcité aux islamistes qui disent que "le Coran est notre Constitution" ?
Les islamistes tunisiens vont abandonner ce slogan parce que cela ne marche pas. Pendant la révolution ils étaient absents de la lutte, alors qu'ils ne l'étaient pas en Egypte. 

Ils ont toutefois vite occupé le terrain.
Parce qu'ils ont eu énormément d'argent. Ce sont eux qui ont réussi à le mieux s'organiser, en premier lieu parce qu'ils étaient préparés – ils manient très bien les outils de communication, ils ont des gens qui ne font que cela, travailler sur Internet toute la journée. 

Les Tunisiens sont-ils prêts à la laïcité ?
Ils sont d'accord pour que la religion soit séparée de l'Etat, il y a les  pro-Ennahda qui représentent, paraît-il, 25 %, cela laisse 75 % qui ne sont pas pour que la religion régisse notre vie, et, là-dessus, effectivement, il va falloir se battre au niveau des idées. Etaient-ils prêts à la parité ? Pourtant, la parité, on l'a fait voter. Ce qui est triste, c'est de voir que les plus conformistes, les plus pro-islamistes, ce sont les jeunes. En même temps, c'est la génération qui n'a connu que Ben Ali, et la seule force politique organisée face au régime de Ben Ali, c'est l'opposition islamiste, les progressistes étaient absents pour diverses raisons. C'est facile d'embrigader les gens par des prêches tendancieux et ambigus, en faisant du social dans les quartiers parce qu'on a de l'argent. La gauche, personne ne la finance. Quand on a voté l'interdiction du financement étranger pour les partis candidats aux élections, Ennahda a quitté la haute instance de la révolution. 

Etes-vous confiante quant à l'issue du rendez-vous électoral du 23 octobre ?
J'étais, comme tout le monde au lendemain de la révolution, très euphorique et très optimiste. Et puis, après, on fait face à la réalité et on se dit que le combat n'est pas terminé. J'ai confiance en la maturité du peuple tunisien, parce que je trouve qu'il a été exemplaire dans cette révolution, il ne s'est pas laissé tromper. 

Instruit de l'expérience algérienne ?
Une expérience dramatique. Après ce qu'on a vécu avec Ben Ali, le pouvoir en Algérie était beaucoup moins dictatorial qu'il ne l'était ici. Ben Ali, c'était la répression maximum, tout le monde avait peur de parler. Aujourd'hui, on voit que les méthodes des islamistes sont identiques, ils essaient de terroriser la population et d'empêcher les gens de parler, d'empêcher les cinéastes de montrer leurs films, d'empêcher des manifestations culturelles ou des représentations théâtrales. 

Vous-même avez été obligée de changer le titre initial de votre film qui était "Ni Allah ni maître" ?
Le titre premier, je le reconnais, était provocateur, et je le revendiquais en tant que tel, parce que je considère que le rôle des artistes et des intellectuels est d'attirer l'attention et de poser des débats là où personne ne veut les poser.  Et ce débat sur la laïcité, je voyais bien que plus on avançait et moins les partis politiques voulaient le poser parce qu'ils ont peur que des électeurs ne leur échappent. Les valeurs de la gauche, c'est la laïcité, donc je ne vois pas pourquoi la gauche a peur de dire qu'elle est pour la laïcité et essaie de faire croire qu'on ne va jamais changer l'article 1 de la Constitution. 

Vous êtes en procès...
De la part des islamistes. Après l'attaque du cinéma qui projetait mon film, il y a eu une grande campagne de soutien de la presse écrite. Comme ils ne savaient pas quoi faire, les islamistes ont dépêché trois de leurs avocats à la télévision : ils ont annoncé qu'ils n'avaient pas vu le film, mais qu'ils portaient plainte contre moi pour atteinte au sacré, pour atteinte aux bonnes mœurs et pour atteinte à un précepte religieux. Trois plaintes que le procureur de la République a reçues. 

Cela ne veut-il pas dire que la justice est réceptive aux adversaires des défenseurs de la laïcité ?   
Pendant toutes ces années de dictature, les islamistes ont creusé le terrain, ils avaient compris que, pour se défendre, il fallait des avocats islamistes qu'ils ont financés, beaucoup sont militants d'Ennahda. Cela étant, parmi les avocats, beaucoup sont progressistes et ont participé massivement à la révolte de janvier. Un comité d'avocats s'est créé pour me défendre, avec, à leur tête, le président d'un parti libéral de droite. Les islamistes prétendent que j'attaque l'islam et que j'insulte les musulmans, c'est faux. Ils n'ont pas vu le film. Je suis passée à la télévision et j'ai dit ce que je dis dans le film, que je ne crois pas en Dieu et que je n'ai aucune raison de me soumettre à une loi divine que je ne reconnais pas. Et, pour eux, c'est faire acte de reniement, sauf que ces gens oublient que si on ne reconnaît pas la loi divine on n'a aucune raison de se soumettre à cette loi-là. La loi tunisienne n'a jamais obligé qui que ce soit à croire en Dieu et reconnaît la liberté de conscience. Pour moi, la liberté de conscience, c'est la première des libertés, pour qu'ensuite chacun puisse être maître de ses choix politiques. Je ne les empêche pas de défiler en criant "Allah akbar !", je ne vois pas pourquoi ils m'empêcheraient de dire que je ne crois pas en Dieu. 

Vous êtes de ceux qui disent "Je suis libre et je n'ai pas peur"...
Oui, et comme le disait [l'écrivain algérien] Tahar Djaout : "Si tu parles tu meurs, si tu te tais tu meurs, alors parle et meurs."

http://www.courrierinternational.com/
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